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Le conte de la montre à cristaux

I

 

l était une fois dans une contrée lointaine, une forêt si silencieuse qu’elle semblait endormie.

Dès lors qu’on y pénétrait, l’absence totale de bruit donnait un sentiment d’oppression.

 

 

Quelques mètres derrière la barrière végétale qui délimitait ce lieu, il n’y avait plus rien pour rappeler la civilisation qui se trouvait pourtant juste à côté.

Personne ne savait ce qui se trouvait en son centre car les arbres étaient si serrés que les rayons de l’astre sacré ne pouvaient venir à bout de la densité des feuillages entrelacés.

 

 

Non loin de là, vivait une famille nombreuse. Les parents, pauvres, avaient bien du mal à nourrir leurs sept enfants et ils avaient même essayé de les perdre dans diverses forêts, mais le plus jeune de leurs fils était un passionné de nouvelles technologies et avait toujours un équipement GPS sur lui; aussi avait-il toujours su retrouver le chemin de sa maison.

 

Une fois, alors qu’ils avaient tenté de les égarer de nouveau, leurs enfants avaient ramené un trésor volé à un ogre, mais avec la crise et les impôts, leur fortune avait bien vite été dilapidée. Alors qu’elle rentrait des courses les bras chargés de nourriture, la mère des sept enfants ressentit une douleur qui lui était familière: elle était de nouveau enceinte.

 

Malheur ! Comment allait-elle donc nourrir un enfant de plus ? Le bébé était très vigoureux à en juger par les coups qu’il portait au ventre de la pauvre mère, aussi prit-elle la décision d’utiliser la ruse afin de perdre définitivement ses enfants. De toute façon, se dit-elle, ses enfants n’étaient que des bons à rien tout juste capables de rêver d’une jeunesse éternelle au lieu de construire leur avenir et aider à la maison.

 

 

Aussitôt dit, aussitôt fait! Elle rassembla quelques affaires et demanda à ses enfants de la suivre. Confiant, le cadet chargea son téléphone portable et prit une batterie de secours afin de parer à toute éventualité. Les autres frères emportèrent chacun un objet qu’ils cachèrent sur eux pour que leur mère ne les trouve pas. Couteau, corde, allumettes, gourde d’eau, lampe torche, doudou. Tout était prêt.

 

Après quelques heures de marche, les enfants se rendirent compte que cette fois, leur mère les avait bernés et que non seulement ils ne la trouvaient plus, mais qu’en plus, dans cette étrange forêt sombre, aucune fréquence mobile ne parvenait jusqu’à eux.

Les enfants passèrent les heures suivantes à essayer de rebrousser chemin, mais le sol feuillu n’avait conservé aucune trace de pas. Aussi s’enfoncèrent-ils sans même le savoir, toujours plus loin dans le bois désert.

Ils décidèrent de marcher toujours dans la même direction afin d’être sûrs de ressortir d’un côté ou de l’autre de cette forêt et de trouver un nouveau foyer puisque leurs parents semblaient bien décidés à ne plus les voir chez eux. A quoi bon rentrer s’ils n’étaient plus les bienvenus ?

Ils finirent par se rendre à l’évidence: le bois était grand ; les rares endroits où les arbres étaient un peu plus espacés leur avaient permis de voir que la nuit tombait. Ils devaient trouver de quoi se nourrir.

L’ainé se souvenait bien de ses cours de biologie et savait quelles baies étaient comestibles. Bien plus heureux que ses frères de se retrouver dans cette situation, il utilisa son imagination pour rendre leur soirée plus agréable: il tailla des branches en pointe à l’aide de son canif puis utilisa un de ses lacets pour lancer les flèches improvisées assez fort et suffisamment loin pour chasser.

 

Pendant ce temps, ses frères s’affairaient à créer un grill en croisant diverses branches pour cuire le produit de la chasse de leur ainé...

Le diner fût copieux: un lièvre n’avait pas été assez rapide pour esquiver la flèche habillement lancée par le plus âgé de la fratrie. En revanche la gourde était vide et les convives commençaient à avoir soif.

Alors qu’ils répartissaient les feuilles par terre pour dormir, le bruit de la pluie sur les feuilles donna l’idée à l’un des frères de trouver un endroit où l'eau les traverse pour la récupérer. Ainsi, ils pourraient boire.

La nuit passa, tout le monde dormit tranquillement, sauf la mère des enfants perdus qui comme chaque fois, s’en voulait d’avoir abandonné ses enfants à une mort certaine dans cette nature impitoyable qui aurait tôt fait de venir à bout de ses chers petits.

Le père, heureux d’apprendre qu’il allait avoir un nouveau fils, lisait un journal en buvant une bière. Il se prélassait dans son fauteuil en jouissant du silence que la disparition de ses fils lui offrait enfin. Le bébé à venir consolerait vite sa femme, pensait-il.

 

            Les jours passèrent et les enfants ne trouvaient toujours pas le chemin qui les mènerait à l’extérieur de cette forêt. Ils étaient devenus habiles dans ce milieu hostile, mais allaient avoir besoin de ce qui leur semblait être toute une vie pour retrouver leur chemin au milieu des arbres.

 

 « Quelle joie ce serait de vivre éternellement ! Si seulement nous pouvions devenir immortels ». Telles étaient leurs réflexions lorsqu’ils tombèrent tous en même temps. Que diable avait-il bien pu leur arriver ? Ils se relevèrent et retombèrent quelques secondes plus tard, frappés par une branche.

Ils se demandèrent comment une branche avait pu bouger alors qu’il n’y avait pas de vent et tentaient de résoudre ce mystère lorsqu’une voix leur apporta directement la réponse:

« Nous sommes les esprits de ce lieu, et nous avons besoin de votre aide, humains, donnez-nous ce que nous voulons et nous vous aiderons à repartir ! »

 

Le benjamin mit alors ses mains en porte-voix et cria « OU ETES VOUS ? », tout en s’asseyant sur un gros nœud d’un vieux tronc d’arbre.

Un bourdonnement (« jst ss vs fsss ») retentit, provoquant l’hilarité chez le jeune garçon, qui avait ressenti une chatouille sur son derrière.

« lssz m prlr, rtrz vs fsss d m bch »

 

Le benjamin n’en pouvait plus, son rire devint si fort qu’il se roula par terre en se tenant les côtes. C’est alors que ses frères comprirent à la fois le fou rire de leur cadet et la provenance du bourdonnement.

« Je disais donc, je suis juste sous vos fesses, levez-vous que je puisse parler »

Le benjamin reprit son sérieux. Et écouta en même temps que ses frères, ce que l’arbre avait à leur dire en ne manquant pas de relever une forme de visage au milieu des écorces du conifère. Voir bouger un morceau de bois était une drôle d’expérience pour le garçon.

 

-          Je suis le plus ancien des arbres de cette forêt. Je suis aussi le seul qui a le droit de révéler à des humains la faculté qu’ont tous les arbres, de parler aux humains et aux oiseaux.

-          Que peut bien dire un oiseau ? N’est-ce pas un animal stupide ?

-          Pourquoi seraient-ils plus bêtes que vous ? Ce sont nos alliés et même s’ils font parfois leurs besoins sur nous, ils nous ont appris à nous exprimer. Mais malheureusement, nous vieillissons bien plus vite maintenant que nous avons étendu nos capacités, car la Vie ne veut pas que nous soyons une espèce dominante.

-          Parce que leurs cerveaux sont plus petits, par exemple ?

-          Et bien non. La taille d’un cerveau ne fait rien à sa capacité. C’est pourquoi un petit Homme n’est pas forcément moins malin qu’un grand. Quoi qu’il en soit, je romps mon silence de toujours, car j’ai absolument besoin de vous.

-          Que pouvons-nous faire pour vous ? Nous ne sommes que des enfants perdus et...

-          Et vous avez su survivre dans ces bois. Si votre chant s’apparente à votre débrouillardise, alors vous êtes le phénix...

-          Assez de fables, que voulez-vous ?

 

Le doyen de la forêt leur présenta sa situation somme toute très commune. Un âge avancé, une mort prochaine... Mais lui connaissait une légende colportée par des oiseaux, selon laquelle deux objets divins se trouveraient dans les bois. Une montre-réveil détenue par un animal constamment pressé, et une source de cristaux magiques. Le premier artefact changeant de forme autant de fois qu’il change de possesseur.

Selon cette légende, il suffirait de mettre un cristal magique à la place de la pile et de remonter le réveil pour que tous les esprits autour de la montre retrouvent leur jeunesse.

L’ancêtre proposa donc aux enfants de les guider vers la sortie de cette forêt s’ils l’aidaient à vivre plus longtemps. Il leur donna de nombreuses informations et leur expliqua que le lapin, comme tout animal, venait régulièrement s’abreuver auprès d’un petit étang, à peine plus loin dans le bois.

-          Une fois que vous serez arrivés ici, poursuivez votre chemin le long du sentier qui se trouvera sur votre droite...

« Excusez-moi, je suis en retard ; en retard, en retard », les coupa un lapin blanc qui fila comme s’il avait la mort aux trousses, en tenant une montre dorée.

-          Attrapez-le, il a la montre-réveil magique !

 

Ainsi commença une course poursuite entre le lapin - qui prenait justement la direction de l’étang - et les enfants. Ils comprirent vite que le lapin se faufilait bien mieux qu’eux dans les broussailles et qu’ils ne le rattraperaient pas. Aussi, l’ainé saisit une de ses flèches et tenta de trouver un espace dégagé pour atteindre sa cible, tout en lui courant après.

Alors qu’ils arrivaient près de l’étang, l’ainé trouva enfin une fenêtre de tir et atteint sa cible. Le pauvre animal, gravement blessé tituba puis tomba dans le lac.

Un crocodile surgit aussitôt et avala le lapin tout rond en même temps que la montre en or qui se changea en réveil une fraction de seconde avant d’être englouti par le reptile.

 

 

Bredouilles, les enfants ne purent récupérer le réveil. L’ainé fit donc de nouvelles flèches en prévision de la prochaine fois que le crocodile essaierait de se nourrir.

Durant un an, il attendit. Chaque jour, ils allaient s’abreuver dans le lac en espérant que le crocodile tenterait de les manger. Mais il ne vint jamais. Ils remarquèrent un jour de silence total, qu’ils entendaient “tic-tac ti tac” lorsque l’animal remontait près de la surface.

 

Un beau jour, le crocodile ne put s’empêcher de prendre des risques et attaqua un des frères. Puis un autre. Et le lendemain un troisième. Alerté, l’ainé tendit un piège au crocodile et le tua, mais perdit deux autres de ses frères qui avaient servi d’appât.

Il récupéra enfin l’artefact magique et reprit sa route vers le cœur de la forêt, comme le lui avait indiqué le vieil arbre.

Tout au long de sa route, il vieillit étonnamment vite et perdit sa vigueur. Sans doute était-ce dû au mode de vie particulièrement intense que lui imposait son environnement. Ou alors, était-ce une sournoiserie de ce que l’arbre appelait “la Vie”.

 

Lorsqu’il arriva enfin devant les cristaux et qu’il exécuta les instructions de l’ancêtre, il apprit à ses dépens que la prophétie était parfaitement juste: seul son esprit avait été rajeuni mais son corps était toujours vieux. Au moment où l’ainé allait mourir, un oiseau lui  offrit ses services. L’ainé demanda alors à l’oiseau de transmettre à l’ancêtre le message suivant: “Salut vieille branche, ton astuce ne marche pas.

 

Tout en sentant son corps partir vers les plaines éternelles, il comprit qu’il avait gâché son existence à essayer de la prolonger au lieu de jouir de ce que la vie lui avait offert.

Alors que le film de son passage sur terre défilait devant ses yeux et qu’il en voulait à la Vie de lui avoir joué un tour, l’oiseau passa dans son esprit et il comprit que “la Vie” n’était autre que l’esprit de cet oiseau farceur qui en répandant une rumeur parmi les murmures des animaux, lui avait tendu un piège pour le punir de son éternelle insatisfaction.